En faisant parler tour à tour Francisco Goya, son fils Javier et son petit-fils Mariano, Dehnel nous plonge dans un roman familial d’une tension inouïe. Le grand Goya nous apparaît dominateur et rustre, menteur et impulsif : peintre génial, amant insatiable (il aime les femmes et, en secret, un homme), il est aussi un père cruel et déchiré (sa femme et lui ont perdu plus de douze enfants). Goya tourmente son fils unique, Javier, dont le peu de vigueur l’exaspère. Ce dernier, qui a de l’or dans les mains, renonce à peindre, de même que, peu à peu, obèse et retiré du monde, il semble renoncer à vivre. Le petit-fils, Mariano, dont Goya se targue parfois d’être le véritable père (ayant dû, là encore, palier la faiblesse de Javier), est en revanche un joyeux sybarite, un homme à femmes qui ne fait rien et que son grand-père adore. À la mort de Goya, Javier laissera jaillir son talent et sa rage en peignant les fameuses « peintures noires », série d’ uvres murales qui culminent en un Saturne dévorant l’un de ses enfants. Ces images folles et cruelles, Mariano les fera attribuer plus tard au vieux Goya, rejetant ainsi le témoignage et la mémoire de son père dans l’oubli.
Jacek Dehnel (né en 1980) est un poète, romancier, peintre, traducteur, docteur ès lettres et spécialiste de la poésie anglaise. Il a remporté de nombreux prix et est considéré unanimement en Pologne comme l’un des écrivains les plus talentueux de la jeune génération. Son roman Lala avait reçu un formidable accueil en Pologne, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, en Italie et en Espagne.
Saturne, Jacek Dehnel, Noir sur Blanc, 02/2014, 288 pages