«3-6-9-12», cela évoque bien sûr quatre étapes essentielles de l’enfance : 3 ans, c’est l’admission en maternelle ; 6 ans, l’entrée en CP ; 9 ans, l’accès à la maîtrise de la lecture et de l’écriture ; et 11-12 ans le passage en collège. Mais ce sont aussi d’excellents repères pour savoir à quel âge et comment introduire les différents écrans dans la vie de nos enfants. En effet, de la même façon qu’il existe des règles pour l’introduction des laitages, des légumes et des viandes dans l’alimentation d’un enfant, il est possible de concevoir une diététique des écrans, afin d’apprendre à les utiliser correctement, exactement comme on apprend à bien se nourrir. Mais pour cela, il nous faut renoncer à deux tentations : idéaliser ces technologies, et les diaboliser. Attendre des miracles des écrans serait en effet tout aussi stérile que vouloir s’en passer. Ce ne sont que des outils. Ne leur demandons pas plus qu’ils ne peuvent donner, mais apprenons à leur demander tout ce qu’ils peuvent nous offrir ! Et pour commencer, introduisons-les au bon moment et à leur juste place.
Reconnaissons pourtant qu’établir une feuille de route des écrans pour chaque âge est loin d’être facile. Tout dépend de la maturité de l’enfant, de la relation qu’il a avec ses parents, et des pratiques qui ont cours dans sa maison, à l’école et parmi ses camarades. L’idée s’est néanmoins imposée à moi en 2007, aussitôt après que j’eus lancé une pétition pour faire interdire les chaînes de télévision à destination des enfants de moins de 3 ans. J’ai alors imaginé la règle «3-6-9-12» comme une façon de répondre aux questions les plus urgentes en rappelant aux parents, sous une forme facile à mémoriser, quatre repères : 3, cela signifie éviter de mettre un enfant de moins de 3 ans devant la télévision ; 6, ne pas lui offrir une console de jeu personnelle avant 6 ans ; 9, l’accompagner sur Internet entre 9 ans et 11-12 ans ; 12, ne pas le laisser se connecter de façon illimitée lorsqu’il est en âge de surfer seul.
La solution à tous les problèmes se trouve-t-elle pour autant dans ces conseils ? Hélas non ! chacun sait que de telles campagnes ne sont guère suivies d’effets tout simplement parce que les écrans sont largement utilisés par les adultes eux-mêmes pour tenter d’oublier les difficultés de leur vie. Les usages excessifs et/ou problématiques des écrans ne sont pas seulement une cause de problèmes, ils sont aussi et d’abord la conséquence de souffrances quotidiennes qu’il nous faut prendre en compte. C’est pourquoi des campagnes invitant à un bon usage des écrans sont absolument indispensables, mais elles ne sont pas suffisantes. Tout d’abord, rien ne sert de dénoncer les risques que les écrans nous font courir si on ne réfléchit pas en même temps aux raisons pour lesquelles tant de parents laissent leurs enfants devant la télévision allumée et à l’extrême solitude où sont la plupart d’entre eux par rapport à ces problèmes. Et ensuite, nous verrons que l’évolution très rapide des possibilités offertes par les technologies numériques nous invite à considérer les jeunes comme des partenaires et des acteurs du changement, au même titre que leurs parents. L’encouragement de leurs pratiques créatrices s’avère souvent bien plus efficace que les injonctions à consommer moins.
«En quelques années, les technologies numériques ont bouleversé notre vie publique, nos habitudes familiales et même notre intimité. Les parents et les pédagogues en sont souvent désorientés. La règle que j’ai appelée «3-6-9-12» donne quelques conseils simples, articulés autour de quatre étapes essentielles de la vie des enfants : l’admission en maternelle, l’entrée au CP, la maîtrise de la lecture et de l’écriture, et le passage en collège. À nous d’inventer de nouveaux rituels». Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des thèses. Auteur de nombreux ouvrages sur les relations que nous entretenons avec les images et les écrans, il a participé à la rédaction de l’avis de l’Académie des sciences L’enfant et les écrans (2013).
3-6-9-12 : Apprivoiser les écrans et grandir, Serge Tisseron, Erès, octobre 2013, 136 pages